Vincent Bolloré, portrait d'un industriel breton (2024)

Il est aujourd’hui au cœur d’une grosse polémique qui dresse de lui le portrait d’un homme d’affaires sans foi ni loi qui aurait siphonné les ports en Afrique. Accusé de corruption dans la gestion de ses affaires sur le continent noir, Vincent Bolloré sera mis en garde à vue puis en examen en avril 2018. Très peu savent cependant davantage sur cet homme d’affaires français qui est parti d’une petite entreprise au bord de la faillite pour monter un empire économique s’étendant de l’Italie à la Guinée Conakry.

Retour sur la vie d’un homme qui est bien moins connu qu’on ne pense.

Au commencement était un Breton

Il se définit comme quelqu’un de «têtu comme un breton». C’est bien parce qu’il est avant tout un breton. Vincent Bolloré est né le 1er avril 1952, à Boulogne-Billancourt. Il est le fils de Monique Follot et de Michel Bolloré auquel il succèdera à la tête du groupe en 1981. Il suit ses cours secondaires au lycée Janson-de-Sailly comme son père puis obtient un diplôme de troisième cycle à l’université Paris X Nanterre, un DESS en Banque Finance Assurance.

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Vincent Bolloré a été marié à Sophie Fossorier et de leur union naîtront quatre enfants: Yannick, Sébastien, Cyrille, et Marie. Si on en sait beaucoup plus sur Yannick parce qu’il dirige Havas, l’entreprise de communication du Groupe, très peu de personnes savent que les deux autres fils de Vincent travaillent aussi dans l’empire familial. Pourtant Sébastien travaille au sein de la direction du développement du groupe, où il est chargé des innovations et des nouvelles technologies. Cyrille, de son côté, est directeur général délégué et vice-président du groupe.

Vincent Bolloré divorce d’avec Sophie Fossorier le 17 novembre 2004 et vit une union libre avec Anaïs Jeanneret. S’il court la planète entière pour couvrir ses mille et une affaires florissantes, sa principale demeure est dans le 16ème arrondissem*nt à Paris, à la Villa Montmorency.

Le Groupe Bolloré, de la petite papeterie à l’empire économique

C’est en 1822 que l’aïeul lointain de Vincent Bolloré, Nicolas Le Marié, avait fondé une entreprise de papeterie, Les Papeteries d’Odet. Cette entreprise sera dirigée à partir de 1861 par Jean-René Bolloré, qui est neveu par alliance de Nicolas Le Marié. De génération en génération, la famille investira toujours plus le domaine de la papeterie. La PME familiale produisait surtout du papier de cigarettes et dans l’imagination collective, son nom sera longtemps rattaché à la cigarette. La chanson populaire de Catherine Claret, Bollore, lui est d’ailleurs toute dédiée: Bollore te quita las penas/Bollore ôte tes peines / Bollore pa toda la vida/Bollore, pour la vie entière/Bollore nos vuelve locos/ Bollore nous rend tous fous/Bollore!! que papel/Bollore, quel papier!

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En 1981, un arrière-petit fils de Jean-René prend la tête de la papeterie familiale: c’est Vincent Bolloré. L’entreprise était à l’époque en grande difficulté. Aidé de son frère Michèle-Yves et de Jean Lassal, le nouveau patron de la papeterie essaie de concentrer les efforts de l’entreprise sur les emballages de thé, puis sur le film plastique ultrafin. Sous son charisme et son sens ultrafin des affaires, la petite PME familiale connait un essor inouï. De la petite entreprise au bord de la banqueroute, il la conduit au stade d’un conglomérat imposant intervenant dans 152 pays avec un chiffre d’affaires de 10,2 milliards d’euros dont 80% proviennent du continent africain.

Un empire africain, mais pas seulement

Il est indéniable que Vincent Bolloré a mis en place au cours de ces 20 dernières années un véritable empire sur le sol du continent africain. Il ne faut pas cependant réduire les avoirs de l’homme d’affaires uniquement à ses investissem*nts en Afrique.

Dans la dernière décennie du XXe siècle, alors que le plan d’ajustement structurel frappait l’Afrique de plein fouet et forçait les États du continent noir à la privatisation des entreprises publiques, Bolloré, qui a plus que personne le sens des affaires, tire le meilleur profit et rachète quelques entreprises dont la Sitarail (Société internationale de transport africain par rail) en 1995, et en 1999 la, compagnie ferroviaire du Cameroun (Camrail). La Sitarail lui permet à relier par train le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire tandis que la Camerail ouvre l’accès aux terres du Cameroun où il est actionnaire (39% des parts) d’une vaste exploitation d’huile de palme. Pour se faire une idée, il faut se rappeler que la concession de Mbambou est de 16500 hectares. Au même moment, il essaie aussi de gagner davantage le marché européen. Il rachète la Banque Rivaud en 1997, prend des parts chez l’assureur italien Generali et dans la Banque d’investissem*nt italienne Mediobanca en 2001. La Presse commence à parler de ce «breton qui veut se payer l’Italie. Sauf que l’ambition du breton allait bien au-delà de l’Italie.

Dans le domaine des médias, il faut rappeler qu’il depuis 2012 le premier actionnaire de Vivendi après avoir rendu ses chaînes de télévision Direct Star, Direct 8 à Canal +. EN 2014, il prend la tête du Conseil de surveillance de Vivendi. Son raid sur Bouygues est sans conteste l’un des plus fructueux, il empoche 240 millions d’euros.

En 2011, il prit le marché de la voiture électrique en libre-service à Paris, à Lyon et Bordeaux, à travers Autolib’, l’étend au Canada, à Singapour, en Californie, à Turin, Indianapolis… Vincent Bolloré s’investit aussi dans le secteur du transport ferroviaire. Il devient notamment actionnaire de référence de la Camerail, la compagnie ferroviaire du Cameroun. Il affiche une volonté de créer une boucle ferroviaire entre le Bénin, le Niger et la Côte d’Ivoire afin de faciliter son commerce avec l’hinterland. Si au Niger et en Côte d’Ivoire le projet connaît du succès, il achoppera au Bénin où il rencontre la résistance de Patrice Talon le président de la République, lui-même homme d’affaires. Mais Talon ne privilégie ni Bolloré, ni même l’investisseur national Samuel Dossou. C’est aux Chinois qu’il fait appel. Pour Philippe Labonne, Directeur général adjoint de la Bolloré Transport Logistics, le groupe est «un peu déçu de ne pouvoir réaliser ce projet». De toute façon, ce n’est que sur le champ ferroviaire que Bolloré est absent. Au port de Cotonou, comme à celui d’Abidjan, le groupe est gestionnaire de terminaux.

Il faut comprendre que la grande partie du commerce avec le continent noir se faire par voie maritime. Par conséquent, le dynamisme de l’économie sur le continent passe directement ou indirectement par les ports. Les pays n’ayant pas de frange portuaire acheminent leurs biens par voie ferroviaire ou terrestre vers leurs ports secs. Cela permet aisément de comprendre la place stratégique que joue également le chemin de fer et la dimension politique que devrait revêtir la boucle ferroviaire voulue par Bolloré qui gère déjà 18 terminaux sur le continent. Et il faut bien croire que ce n’est pas que de l’affabulation quand les médias prétendent que le Breton a rang de chef d’État sur le continent. S’il n’a pas de territoire ni d’armée, il a au moins l’oreille et l’amitié des chefs d’État des pays où il a établi ses affaires, y compris en France.

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Bolloré, ce familier des couloirs politiques

En 2007, la presse internationale a bien jasé lorsque Bolloré a mis son jet privé et son Yacht au service de Sarkozy. Beaucoup ont voulu y voir une volonté du puissant homme d’affaires de demander les faveurs du gouvernement français alors que d’autres y ont vu une volonté de faire croire à ses concurrents qu’il a l’écoute du Président. Quoi qu’il en soit, rien n’a empêché les esprits trop embrasés de chercher à faire un lien avec ce fait, lorsque le groupe a obtenu le marché d’Autolib’. Mais ceux qui le prenaient pour un ami de Sarkozy s’étonneront bien vite de sa proximité avec la gauche, lorsque, en 2003, il a intégré un ancien ministre de l’agriculture de Lionel Jospin, Jean Glavany dans le comité de réflexion stratégique du conglomérat. La vérité est que le Breton, en honnête homme d’Affaires, se préoccupe avant tout de la bonne santé de ses affaires et joue avant tout, les équilibristes. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, il aura été longtemps ami de Laurent Gbagbo, jusqu’à la chute de celui-ci. Dès lors, par fidélité pour la Côte d’Ivoire, son amitié ira, entièrement et fidèlement au vainqueur de Gbagbo, le brave Ouattara qui l’aidera à asseoir davantage ses affaires au port d’Abidjan.

En Afrique, le breton se montrera plus audacieux, cependant, clairement affiché constamment en parade avec les chefs d’État dont il se présente comme l’ami, ou encore de ministres qu’il présente d’ailleurs comme des personnes dont il est très proche. Le livre de Dominique Lafont à son sujet, s’il peint à l’accès un Vincent Bolloré trop à l’aise sur le continent noir, aura totalement rendu justice à son influence «politique» sur le continent. Lui-même ne nie pas être ami avec Faure Gnassingbé depuis une décennie et avec Alpha Condé depuis près de 30 ans. Et c’est d’ailleurs tout naturellement qu’il fait une petite parade en décapotable le jour de l’inauguration de la ligne de chemin de fer reliant Niamey à Dosso. Après tout, c’est bien lui qui gère le port sec de Dosso.

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«L’affaire Bolloré»

«Corruption d'agents publics étrangers»; c’est l’accusation qui pèse sur l’homme d’affaires français depuis le 24 avril 2018. Bolloré est en effet soupçonné d’avoir eu recours à des procédés de corruption pour obtenir la concession de certains ports en Afrique de l’Ouest. Si le breton a des intérêts dans la plupart des pays portuaires du golfe de Guinée, le port de Lomé (au Togo) et celui de Conakry en Guinée sont ceux directement visés par les accusations de corruption. Il sera alors placé en garde à vue par des juges financiers de l’OCLCIFF (office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales). Déféré devant le juge d’instruction, il risque une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans et une amende d’un million d’euros.

Dans cette affaire judiciaire, Vincent Bolloré n’est cependant pas le seul concerné. Certains de ses proches collaborateurs sont aussi impliqués. IL s’agit du PDG du groupe (Gilles Alix) et d’un responsable de Havas, Jean-Philippe Dorent qui est responsable du Pôle international de Havas.

Bolloré, un côté philanthrope peu connu

Depuis 1998, Vincent Bolloré a créé la fondation de la Deuxième Chance. Comme son nom le laisse deviner, c’est une fondation qui accompagne des entreprises en difficultés. En moyenne, la fondation accompagne 500 projets par an avec un taux de réussite évalué à 80% au bout de cinq ans. La fondation est dirigée par l’ancien ministre du Travail, Michel Géraud qui est appuyé de 7 employées et de 200 bénévoles. Pour comprendre l’importance de sa contribution pour les mises en œuvre des activités de la fondation, il faut donner la parole à Michel Géraud: «"Vincent Bolloré a toujours tenu à ce que son groupe assume entièrement les frais de fonctionnement"; ces frais s’élèvent à environ 1 million par an. On connait peu ce côté philanthrope de Bolloré qui a souvent été présenté comme un homme d’affaires froid, seulement intéressé par le gain qu’il peut se faire.

De même, son groupe aura institué les bluezones qui sont des espaces de jeux dédiés aux jeunes dans tous les pays où il intervient en Afrique. On mettra cela sur le compte de sa politique RSE si l’on veut. On peut aussi arguer, comme on entend souvent, que c’est un moindre mal par rapport à tout le tort qu’il aurait causé dans ces pays, il n’empêche que le groupe offre à tout le moins ces centres dans la quasi-totalité des pays où il est installé.

En définitive, Vincent Bolloré, ni ange ni démon tout comme Bernard Arnault, il est bien ce qu’il dit être, un breton têtu, qui aura écumé mille mers, flairé les richesses de mille ports et établi un empire économique sur tous les continents.

Quand en février 2020, il aura pris sa retraite comme il le prévoit, ses fils prendront la relève. Peut-être sera-ce Yannick le PDG de Havas? Ou son frère aîné Sébastien? On n’en sait rien. Ce dont on est certain c’est que leur père aura arraché le nom de l’entreprise familiale au mégot de cigarette où on le voyait pour l’afficher au rang des grandes fortunes de France. Et cet héritage, moral et économique, mais aussi politique, exigera de ses successeurs autant de poigne et de flair qu’il en a fallu à celui qu’on nomme par affection et par crainte, le Smiling-killer.

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